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 Les chiffonniers du Caire

EGYPTE. Gaz écolo pour quartiers pauvres

22 Octobre 2009, 10:17am

Publié par Les chiffonniers du Caire

EGYPTE. Gaz écolo pour quartiers pauvres

Hussein Suleiman, habitant du Caire, inspecte le tuyau de son système de production de biogaz. (N.H. / TELQUEL)

Au Caire, quelques habitants des quartiers pauvres ont adopté un système qui permet de produire du gaz pour la cuisine à partir d’ordures ménagères, et donc de faire des économies tout en préservant l’environnement.

“Vous voulez un thé ?”, Hussein Suleiman prononce la question rituelle avec un sourire malicieux. Depuis deux mois, ce retraité de 55 ans, qui habite le quartier historique de Darb Al Ahmar, au Caire, prépare le thé sur une petite plaque de cuisson un peu particulière. Un long tuyau en plastique la relie à un cylindre noir haut de deux mètres, posé sur le

toit de son immeuble. Un canard paisible, qui vient de pondre un œuf, et quelques plantes grasses y côtoient le système de biogaz. “Là, je mets les ordures organiques - les épluchures, les restes de repas, etc., avec de l’eau , explique-t-il en désignant un premier tube connecté au réservoir. Et par là – il montre un autre tube qui sort du cylindre – on évacue une partie des déchets. Ça sert d’engrais pour les plantes”. Au sommet de la machine, le mince tuyau en plastique achemine le gaz produit jusqu’à la cuisine. Gratuitement, et sans ajouter de CO2 à l’air du Caire, la ville la plus polluée d’Afrique, d’après l’ONU.
C’est un ingénieur américain, Thomas Culhane, à la tête de l’association Solar Cities (lire encadré), qui a eu l’idée d’exporter cette invention indienne en Egypte. Ce Géo Trouvetou de l’écologie, qui a vécu cinq ans au Caire, a découvert ce système individuel de production de biogaz sur YouTube. “Je suis parti en Inde pour rencontrer le concepteur, le Dr Anand Karve. Il m’a dit : ‘Il faut penser comme le ventre d’une vache !’”, raconte-t-il en riant. Le système est en effet calqué sur l’appareil digestif d’un ruminant : nourries par les déchets organiques, les bactéries se développent et produisent du méthane (70%) et du CO2 (30%). “Le méthane est un gaz vingt fois plus polluant que le CO2 pour l’atmosphère. Mais quand on le brûle, comme ici pour faire la cuisine, il n’y a plus de pollution”, précise Omar Nagi, un jeune ingénieur égyptien qui participe au projet.
Dans un premier temps, il faut mettre du fumier dans le réservoir. “Après deux à quatre semaines, selon la température extérieure, une colonie de bactéries apparaît et on n’a plus qu’à ajouter des ordures organiques”, explique Thomas Culhane. A raison de deux kilos de déchets par jour, le foyer dispose quotidiennement de deux heures de gaz. Pour l’instant, cinq familles ont accepté de tenter l’expérience au Caire, et l’objectif est d’étendre le système à une centaine de foyers avant de lancer le projet à la campagne. “Plusieurs milliers de foyers ruraux ont adopté le système en Inde. Ils sont isolés et n’ont pas accès à d’autres sources d’énergie”, rappelle Omar.

Dangereuses bonbonnes de gaz
Au Caire, le système viendrait remplacer les “emboubas”, les bouteilles de gaz que les Egyptiens achètent à des vendeurs ambulants, qui annoncent leur passage en faisant tinter un marteau sur les bonbonnes harnachées à leur vélo. Une petite bouteille de gaz dure environ trois semaines et coûte 8 livres (12 dirhams), grâce aux subventions massives du gouvernement. Pays producteur de gaz, l’Egypte n’a aucun problème d’approvisionnement. “Avec le biogaz, on achète deux fois moins d’emboubas, se réjouit Hussein, père de quatre enfants. Pendant l’hiver, il y a des retards de livraison, c’est donc bien d’avoir cette sécurité”. Il rappelle aussi que l’utilisation des “emboubas” n’est pas sans danger. “Il y a seulement trois semaines, l’immeuble d’en face a brûlé pendant 24 heures après l’explosion d’une bouteille de gaz”, raconte Hussein en montrant le vieux bâtiment aux charpentes de bois carbonisées.
Malgré ces risques, ses voisins ne sont pas encore convaincus par le nouveau système. Premier problème, tous ne disposent pas d’un toit pour entreposer le réservoir. “Certains pensent aussi que c’est sale de garder les ordures comme ça. Moi je leur dis qu’au contraire ce système peut nous aider à rendre le quartier plus propre. Nos poubelles attirent les chats et les rats”, plaide Hussein. Mais leur réticence est surtout financière. “Même ceux qui sont séduits par l’idée renoncent quand je leur dis le prix”, se désole-t-il. L’appareil revient à environ 1000 livres (1465 dirhams), ce qui représente à peu près trois fois le revenu mensuel des habitants du quartier. Les premières familles équipées n’ont rien payé, leur utilisation du biogaz ayant valeur expérimentale. Mais les suivants devront mettre la main à la poche. “Nous recherchons des subventions et nous réfléchissons à un système de prêts”, avance Omar Nagi. Même si les futurs propriétaires ne paient que 300 livres (438 dirhams) – une somme raisonnable selon Hussein -, le biogaz ne devient rentable, par rapport aux bonbonnes, qu’au bout de deux ans et demi.

Remplacer les cochons ?
Pour un tel investissement, la motivation écologique est loin d’être suffisante, surtout quand il s’agit de populations pour qui le mot “réchauffement climatique” n’évoque pas grand-chose.
A Manshiet Nasser, l’autre quartier du Caire où Thomas Culhane a lancé le projet, le biogaz pourrait pourtant avoir un autre intérêt. C’est là que vivent les “zabbaline”, les chiffonniers du Caire, en majorité coptes (chrétiens), qui collectent, trient et recyclent les déchets de la capitale. Les ordures organiques trouvées servaient jusqu’ici à engraisser des cochons. Mais le gouvernement égyptien a décidé le 29 avril d’abattre tous les porcs du pays, comme mesure de prévention contre la grippe dite “porcine”. “Peut-être que cette invention peut nous aider à trouver une nouvelle activité”, espère Hanna, 26 ans, le premier à avoir adopté le biogaz dans son quartier. Développé à plus grande échelle, le système pourrait fournir un débouché à des dizaines de familles qui ont perdu leur gagne-pain.

 

Initiative. Rentabiliser le soleil
Sur le toit de l’immeuble où il habite avec sa famille, Hanna Fathy a installé deux larges panneaux solaires. “Il y a de l’eau chaude dans toutes les pièces”, dit-il fièrement. Thomas Culhane, ingénieur américain d’origine syrienne, fondateur de l’association Solar Cities, est à l’origine du projet, financé par US Aid. “Nous avons décidé de construire les panneaux solaires avec des matériaux de récupération, pour réduire les coûts. Il y a une véritable intelligence collective dans ces quartiers”, explique-t-il. Tel enfant leur a indiqués où ils pouvaient trouver un certain tube en plastique, tel ferronnier a reproduit dans son atelier les joints métalliques dont ils avaient besoin… Quinze paires de panneaux solaires ont ainsi été installées sur les toits du quartier de Manshiet Nasser, où habite Hanna, et quinze dans le quartier de Darb Al Ahmar. Hanna et quelques autres construisent désormais des panneaux solaires pour leurs voisins et amis. “Avec mon chauffe-eau électrique, je dépensais 90 livres par mois, maintenant je ne dépense plus que 45 livres”, se réjouit Hussein. Une bonne opération, des points de vue écologique comme économique.
source :
 
http://www.telquel-online.com/374/actu_monde1_374.shtml
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